Investissements RPC s’est récemment entretenu avec des spécialistes de la diversité et de l’inclusion pour faire le point sur la situation des femmes dans le monde du travail à l’ère de la COVID-19.
Nous avons rassemblé ici de courts extraits de certaines de ces conversations dans lesquelles ces spécialistes plaident avec passion en faveur des types de changements qui pourraient préserver les progrès déjà réalisés par le Canada en matière d’équité au travail et permettre à une nouvelle génération de femmes de poursuivre ces progrès.
Tanya van Biesen première vice-présidente, Engagement corporatif mondial, Catalyst parle du bassin de talents féminins en péril.
Caroline Codsi, fondatrice et présidente, La Gouvernance au Féminin parle des quotas.
Sarah Kaplan, professeure distinguée et directrice de l’Institute for Gender and the Economy à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto parle de la nécessité d’investir dans les services de garde d’enfants.
Elio Luongo, chef de la direction, KPMG au Canada parle de la voie de l’équité entre les sexes.
Karen Sihra, directrice, Diversité et inclusion, Investissements RPC parle de l’inclusion.
Camilla Sutton, présidente et chef de la direction, Women in Capital Markets parle de la nécessité de réformer le système et non l’individu.
Sarah Williamson, chef de la direction, FCLTGlobal parle du recours aux données pour promouvoir l’égalité des sexes.
Tanya van Biesen est première vice-présidente, Engagement corporatif mondial chez Catalyst, un organisme international qui vise à accélérer l’avancement des femmes grâce à l’inclusion en milieu de travail.
Le bassin de talents féminins en péril
Le bassin de talents féminins est menacé. Si nous voulons que le Canada renoue avec sa santé économique pré-COVID, nous devons permettre aux femmes de retourner sur le marché du travail. Nous devons les aider à retrouver leur emploi. À l’heure actuelle, ce qui me préoccupe le plus, c’est que cela ne se produira pas, car de nombreux secteurs ne reviendront pas à la normale de sitôt, surtout comme ceux de l’hôtellerie et du voyage, où les femmes occupent la plupart des postes de première ligne.
Le problème tient en partie au fait que les femmes sont surreprésentées dans les postes très vulnérables. Il n’est donc pas certain qu’elles retrouvent un jour les emplois qu’elles occupaient. Or, il est très important de décortiquer les données. Si l’on examine les taux de chômage actuels, on constate que celui des femmes est inférieur à celui des hommes. Cependant, en y regardant de plus près, on s’aperçoit que plus de femmes que d’hommes ont quitté le marché de l’emploi de façon permanente depuis le début de la pandémie.
Et cette situation risque de s’aggraver. Un récent sondage mené par Pollara Strategic Insights pour le compte du projet Prosperity a révélé qu’au cours de la pandémie, 30 % des femmes ont envisagé de quitter leur emploi, contre moins de 20 % des hommes. Il existe donc un réel risque de conséquence permanente, et cela est vrai à tous les niveaux des organisations.
Cette situation aura une incidence considérable sur le bassin de talents si nous ne remettons pas ces femmes sur le marché du travail ou si nous en perdons davantage. J’ai récemment discuté avec Tina Lee, chef de la direction de T&T Supermarket. Elle a vu bon nombre de ses employés quitter le marché du travail, mais le taux de retour en poste est maintenant plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Pourquoi? Parce que ces dernières assument toujours la plus grande part du fardeau du ménage, qu’il s’agisse des soins aux enfants ou aux personnes âgées, ou encore de la gestion familiale en général. Et il est très difficile de prendre en charge ces tâches dans un environnement qui semble dangereux pour la santé et qui est certainement précaire pour les services de garde d’enfants et les écoles.
Ce problème ne sera pas réglé au cours des prochains mois. Un vaccin destiné à la population générale ne sera probablement pas disponible avant 18 mois ou deux ans. Si les femmes sont absentes du marché du travail pendant tout ce temps, elles risquent de nuire de façon permanente à leur carrière, car elles perdront leurs compétences et le marché de l’emploi aura évolué. La requalification a lieu à l’école et au travail. Si vous n’êtes pas dans l’un de ces deux contextes, il est beaucoup plus difficile de vous tenir à jour ou de rattraper votre retard. Nous devons soutenir les femmes afin qu’elles puissent retourner sur le marché du travail dès maintenant.
Caroline Codsi, Founder & Caroline Codsi est fondatrice et présidente de La Gouvernance au Fémimin, un organisme sans but lucratif qui aide les femmes à accéder à des postes de direction au sein des organisations et de leurs conseils d’administration.
Les quotas
Je suis en faveur de quotas légaux pour la représentation féminine au sein des conseils d’administration. Regardez ce qui a été fait en Europe. Les pays scandinaves ont imposé un quota de 40 % de femmes par voie législative dans leurs conseils d’administration, objectif qu’ils ont atteint très rapidement. La France a imposé des exigences très strictes et a envisagé de retirer de la cote des marchés les sociétés qui ne les avaient pas respectées, ce qu’elle n’a pas eu besoin de faire.
Au début, les sociétés étaient mécontentes et considéraient cette mesure comme une ingérence dans la gestion de leurs activités. Mais elles se sont vite rendu compte que ce n’était pas si difficile, que les femmes étaient là et qu’elles étaient capables. Il suffit de se pencher sur leur niveau d’études pour en avoir la preuve. Soixante pour cent des diplômés universitaires sont des femmes. Ces sociétés françaises ont fini par comprendre l’intérêt de cette mesure à caractère obligatoire.
Qu’entendons-nous toujours au Canada? « Nous n’arrivons pas à trouver de femmes. » C’est absurde. Quand on légifère, on trouve soudainement des femmes qualifiées. Quand on ne légifère pas, on trouve des excuses. Au Canada, le Québec est la seule province où la loi exige depuis 2006 que les conseils d’administration des sociétés d’État soient composés à 50 % de femmes. Devinez ce qui s’est passé? La province a réalisé son objectif en cinq ans et n’a jamais régressé depuis.
Pour moi, le fait qu’au Canada nous ne reconnaissons toujours pas la valeur de la législation est problématique. De nombreuses recherches démontrent que l’établissement d’une cible est en fait la meilleure façon d’atteindre un objectif et de savoir si l’on progresse ou non. Nous continuons de dire que le problème se réglera de lui-même, mais regardez ce qui se passe autour de vous. Seulement 5 % des postes de chefs de la direction des grandes sociétés canadiennes sont occupés par des femmes. Nous devons arrêter de croire que les femmes ne sont pas prêtes ou qu’elles ne sont pas intéressées. Nous devons adopter des mesures législatives qui permettront enfin d’instaurer l’égalité entre les sexes dans les conseils d’administration.
Le programme Women in Governance rend les femmes plus autonomes et comble l’écart entre les sexes au moyen de la certification Women in Governance Parity. Le processus de certification commence par un diagnostic complet de la position d’une organisation sur le spectre de la parité hommes-femmes en ce qui a trait aux stratégies (culture et engagements) et aux actions (communications, politiques et programmes), et aux résultats qu’elles produisent. Après l’évaluation, le rapport personnalisé présente les pratiques exemplaires et les principaux facteurs qui permettent à une organisation d’établir une feuille de route vers la parité hommes- femmes.
Sarah Kaplan, est professeure distinguée et directrice de l’Institute for Gender and the Economy à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto.
La nécessité d’investir dans les services de garde d’enfants
Ces trente dernières années, nous n’avons pas fait beaucoup de progrès en matière d’égalité des sexes. Je dirais même que ces progrès sont honteusement infimes compte tenu de l’attention portée à cet enjeu. Nous devons donc tenter une nouvelle approche. Investir dans les services de garde d’enfants est l’une des clés de la réussite. À l’heure actuelle, les femmes qui ont progressé dans leur carrière et qui ont des enfants d’âge scolaire se font dire par leur employeur qu’elles doivent revenir au travail. Elles doivent choisir entre travailler ou s’occuper de leurs enfants qui retournent à l’école à temps partiel ou sont scolarisés à la maison.
Cette situation touche les femmes de plein fouet à tous les échelons. Nous avions déjà constaté que les femmes étaient plus susceptibles d’être mises à pied pendant la pandémie et beaucoup moins susceptibles d’être réembauchées. Nous allons maintenant assister à une deuxième vague, soit l’exode des femmes du marché du travail faute de services de garde d’enfants. Les employeurs forceront les femmes à faire un choix entre travailler et s’occuper de leurs enfants. Ils feront reposer ce choix entièrement sur les épaules de l’employée et ils jetteront la faute sur les femmes au lieu de se rendre compte que les processus de leur société sont un obstacle a maintien d’un travail à temps plein pour les femmes. Si je dis « les femmes », c’est parce qu’au Canada, qui a des normes très traditionnelles en matière de genre, les femmes prennent en charge la majeure partie des soins supplémentaires occasionnés par la pandémie.
C’est une énorme crise. Nous allons assister à un départ massif de femmes, en particulier celles qui occupent un poste de direction intermédiaire, car ce sont elles qui ont des enfants d’âge scolaire. Elles quitteront le marché du travail ou occuperont un poste différent qui ne leur permettra pas de se hisser au sommet de l’organisation. Je considère que nous ferons face à une crise si les sociétés ne prennent pas certaines mesures. La première chose que les sociétés peuvent faire, c’est de repenser le retour au bureau. Beaucoup trop d’employeurs exigent un retour au travail physique alors que nous avons appris au cours des six derniers mois que les employés pouvaient être tout à fait productifs à la maison et qu’ils pourraient même y être contraints en raison de leurs responsabilités d’aidant.
La deuxième chose que les sociétés peuvent faire est de fournir des services de garde ou de garderie sur place, de sorte que si les employés ne peuvent pas renvoyer leurs enfants à l’école, ils puissent les emmener au travail. Nous savons que de nombreuses garderies ont fermé leurs portes ou ont fait faillite en raison de la conjoncture et que la pénurie de places en garderie n’a fait que s’accentuer. Les employeurs devront combler ce manque et fournir des services de garde à leurs employés.
Pour ce qui est de la contribution du gouvernement, celui-ci doit investir massivement dans les garderies et les écoles sécuritaires, car si les enfants ne peuvent être pris en charge en toute sécurité, les parents seront forcés de rester à la maison. Nos investissements dans les services de garde d’enfants sont depuis longtemps insuffisants. D’après l’OCDE, il faudrait consacrer 1 % du PIB aux services de garde d’enfants. Pourtant, le Canada est loin d’atteindre cet objectif. Il est temps que cela change.
La voie de l’équité entre les sexes
Le ton employé par les hauts dirigeants d’une organisation est tellement important. Il ne faut pas se limiter aux mots. Il faut agir. Pour accélérer l’accès des femmes à des postes de direction, les dirigeants doivent donner l’exemple. Ces chefs de file se doivent d’incarner les valeurs qu’ils prônent.
Je crois en l’idée qu’une chose doit être mesurable pour que nous puissions en apprécier la valeur. Dans notre cabinet, il existe des indicateurs de rendement clés pour nos dirigeants qui nous permettent de nous assurer que nous avons un bassin rempli de femmes et de personnes issues des communautés minoritaires. Cela a une incidence sur la rémunération et les mesures de rendement de tous les dirigeants de l’ensemble de notre organisation. J’exige réellement que les gens examinent le haut de leur organigramme de chaque région. Les chiffres correspondent-ils à ce que nous souhaitons? Nous remettons en question chaque embauche et chaque nomination. Nous étudions les choses sous différents angles pour veiller à prendre les bonnes décisions. Nos dirigeants doivent former un bassin représentatif de notre société. C’est ce à quoi je m’attends, et je veille à ce que tous nos dirigeants soient sur la même longueur d’onde.
J’agis ainsi parce que l’équité entre les sexes n’est pas un enjeu uniquement féminin – cela nous concerne tous. Tous les dirigeants, en particulier les cadres supérieurs, doivent y croire. J’attends d’eux qu’ils agissent en mentor et qu’ils parrainent vraiment les talents féminins. En tant que mentor, vous aidez à former et à motiver ces femmes, et vous les aidez à cheminer dans l’organisation. Il s’agit en grande partie de coaching. Vous faites en sorte que ces femmes aient des défis à relever et des occasions d’apprendre et de progresser. C’est une approche réfléchie. Il faut aussi faire preuve d’honnêteté. Vos commentaires doivent être sincères et authentiques, et vous devez aussi accepter ce genre de commentaires en retour. Tout repose sur une relation de confiance.
Ces principes ont fait de notre cabinet une sorte d’académie pour les femmes. Beaucoup de femmes dirigeantes se joignent à nous, et cela a pour effet de faire bondir l’intérêt d’autres entreprises envers elles. Ces femmes se voient offrir d’excellentes possibilités de carrière, et certaines d’entre elles ont été recrutées par d’autres entreprises. Elles doublent leur salaire et accélèrent leur progression. Et que faites-vous lorsque cela se produit? Vous célébrez, parce que vous leur avez offert une
excellente occasion et un bel avancement professionnel, et vous espérez qu’un jour, vous les accueillerez de nouveau dans votre entreprise et qu’elles posséderont de nouvelles compétences. Mais cette réussite dépend de votre bassin de talents féminins. Vous devez perfectionner cette prochaine génération de femmes dirigeantes et mettre en place un plan de relève solide. Il s’agit d’un défi pour notre organisation, mais d’un bon défi, et je crois que c’est aussi la raison pour laquelle beaucoup de femmes décident de joindre nos rangs. Elles voient
cette occasion.
Karen Sihra est directrice de l’inclusion et de la diversité à Investissements RPC, une société de placement qui gère un portefeuille robuste et diversifié à l’échelle mondiale afin d’assurer la pérennité du Régime de pensions du Canada pour les prochaines générations.
L’inclusion
L’inclusion, la diversité et l’équité sont trois pièces du même casse-tête. L’inclusion a trait à l’expérience des individus dans leur milieu de travail. Ont ils tous l’occasion de donner le meilleur d’eux-mêmes et de saisir les occasions de s’épanouir sur le plan professionnel? Leur permet-on de se sentir soutenus, respectés et valorisés, en tant qu’individus, et pour leur contribution unique?
Comme je l’ai souvent dit, l’inclusion dans un groupe homogène de personnes est facile. De nombreuses recherches ont démontré que la diversité améliore la performance et nous prémunit contre la pensée de groupe, grâce au croisement de diverses perspectives et expériences de vie et à une prise de décision bien éclairée. En l’absence d’inclusion, les contributions individuelles peuvent être limitées, voire impossibles. Nous devons réfléchir à la façon de promouvoir la diversité et d’encourager la participation de tous nos collègues.
Un autre enjeu consiste à assurer l’équité en examinant les compétences et capacités des individus en se fondant sur leur aptitude à occuper une fonction, plutôt que sur des critères obsolètes. Lorsque nous considérons particulièrement l’équité, nous déterminons en fait les types d’outils et de ressources que nous devons fournir à nos collègues afin qu’ils puissent saisir les occasions de s’épanouir sur le plan professionnel et de contribuer au succès de l’organisation au mieux de leurs habiletés.
Bâtir une organisation axée sur le soutien nécessite que tous les collègues s’engagent en ce sens. Il est facile de dire que nous voulons refléter la diversité, mais encore faut-il veiller à ce que les collègues faisant partie de celle-ci puissent s’épanouir sur le plan professionnel au sein de l’organisation. Il ne suffit pas de se réveiller un beau matin et de décider de vivre sa vie en tant que membre de la société à part entière. Il faut en faire l’expérience, soit lors d’une occasion particulière, ou tout en vivant au sein d’une société, pour développer ce sentiment. C’est ainsi qu’au sein de l’organisation, nous devons faire appel à l’engagement de tous les collègues pour créer un environnement inclusif favorable à tout un chacun.
Par exemple, que ressent une femme lorsqu’elle partage une idée et qu’elle est interrompue par un homme? Elle doit probablement ressentir que son opinion n’est pas valorisée et que son jugement et sa capacité à prendre des décisions importent peu aux yeux de ses collègues masculins. Dans ce scénario, on ne devrait pas s’attendre à ce que cette femme se contraigne à ne pas prendre la parole et se contente d’envoyer un courriel ou à s’exprimer différemment. On devrait plutôt demander à ceux qui l’interrompent d’adopter un comportement plus inclusif.
Nous avons mis en place plusieurs programmes pour soutenir ce mandat. Nous avons déterminé que certains traits de caractère, tels que l’humilité, l’empathie et la curiosité authentique, promeuvent et créent un milieu de travail inclusif. En mettant l’accent sur l’inclusion, nous offrirons un meilleur environnement pour tous nos collègues, y compris ceux faisant partie de groupes traditionnellement sous représentés.
Camilla Sutton est présidente et chef de la direction de WCM (Women in Capital Markets), un organisme qui a pour mission d’accélérer la diversité dans le secteur financier.
La nécessité de réformer le système et non l’individu
Les progrès que notre secteur a réalisés au niveau de l’équité entre les sexes sont relativement limités, en particulier en ce qui a trait aux postes de direction. Selon moi, pour réaliser de véritables progrès, il faut cesser d’essayer de changer les gens et commencer à s’attaquer à la réforme du système.
Il s’agit d’un changement radical par rapport à ce que nous avons l’habitude de voir, notamment les programmes de mentorat pour les femmes et tous les autres programmes axés sur les femmes ou les personnes racisées. Cette approche implique de déceler les biais inhérents à notre système et de trouver des façons de les éliminer. Cela signifie qu’il faut travailler très fort pour acquérir des connaissances sur l’égalité et endiguer le harcèlement et la discrimination. Il faut évaluer les mécanismes de traitement des plaintes et renforcer le mode de mesure de la transparence, la surveillance et la production de rapports.
Il ne suffit pas d’intégrer des femmes ou des personnes racisées dans votre organisation pour favoriser l’inclusion. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui exige une compréhension poussée de l’équité. Nous devons faire en sorte que nos processus et nos politiques soient impartiaux au lieu de nous concentrer sur la suppression des préjugés individuels. Ainsi, lorsque vous cherchez à embaucher, assurez-vous d’avoir un bassin de candidats diversifié et, une fois que ce bassin de candidats diversifié rencontre votre comité d’embauche diversifié, assurez- vous d’avoir des questions normalisées afin de mettre fin aux relations informelles du type : « Je m’entraîne au club Cambridge », « Moi aussi! Ne trouvez-vous pas que le cours d’untel est fantastique? »
Entre autres enseignements importants, la COVID-19 a mis en évidence à quel point nous avons l’esprit fermé. Si on m’avait dit que le secteur des placements tout entier allait travailler à la maison pendant les six prochains mois et que ce changement allait se faire en deux semaines, j’aurais répondu que c’était impossible. N’importe qui aurait dit que c’était impossible. Pourtant c’était effectivement possible et même efficace. Je pense que cette expérience montre à quel point nous sommes fermés aux nouvelles idées et aux nouveaux concepts sur le cadre de travail. Même lorsque nous croyons être incroyablement innovants, nous ne le sommes pas vraiment. Nous ne sortons pas vraiment des sentiers battus.
Sarah Williamson est chef de la direction de FCLTGlobal, un organisme sans but lucratif qui met au point des recherches et conçoit des outils qui favorisent l’investissement à long terme et la prise de décisions d’affaires.
Le recours aux données pour promouvoir l’égalité des sexes
Lorsque je travaillais à Wall Street, j’ai participé à une réunion afin de désigner les candidats qui obtiendraient une promotion. L’un des candidats était sur le fil. Ses résultats étaient bons, mais pas excellents. À la fin, l’un des gars a déclaré : « Untel est un excellent pêcheur ». En fait, voici ce qu’il voulait vraiment dire : « Nous savons qu’il peut attraper des poissons, il a un gros bateau, il est plutôt cool, c’est l’un des nôtres. » Je l’ai regardé et je lui ai dit : « Le problème, c’est que nous ne travaillons pas dans le milieu de la pêche. » Ce genre de choses se produit tout le temps. Pouvez-vous imaginer les éclats de rire si j’avais dit à propos d’une candidate : « Mais c’est une excellente danseuse classique ou une excellente couturière »?
Je pense donc que les mesures sont très importantes. Pour accroître la diversité, il faut vraiment s’en donner les moyens. Il faut comprendre le problème et le mesurer. Je pense que la plupart des gens croient en l’équité. Pourtant, d’après mon expérience, les gens résistent aux chiffres, aux cibles ou aux quotas dans ce domaine.
J’avoue que je me disais moi aussi au début qu’il fallait « laisser le temps faire son œuvre ». En vérité, les données ne vont pas en ce sens.
Je crois fermement aux incitatifs. Si vous dites aux directeurs qu’ils doivent atteindre un objectif sans pour autant l’intégrer dans les critères de promotion ou de rémunération, vous leur dites en fait que cet objectif n’a pas vraiment d’importance. Si vous n’embauchez pas suffisamment de femmes ou que vous ne leur donnez pas de promotion, vous ne pouvez pas dire : « Eh bien, nous n’en avons pas trouvé ». Non, il faut en faire plus pour attirer d’excellentes candidates. Vous devez cerner ce qui ne fonctionne pas.
L’exemple bien connu de la Harvard Business School illustre ce point. L’école avait commencé à accepter beaucoup de femmes, mais les hommes obtenaient de meilleurs résultats. Certains croyaient que l’école acceptait simplement des femmes moins fortes sur le plan académique. D’autres croyaient que les enseignants masculins faisaient preuve de discrimination. Chacun avait sa théorie. En examinant la situation de plus près, il s’est avéré que le véritable problème était la participation en classe. À la Harvard Business School, les notes attribuées dépendent beaucoup du nombre de fois où vous prenez la parole et des arguments que vous avancez. L’école a décidé de s’attaquer à la source du problème. Elle a donc
enregistré les cours et comparé les transcriptions aux notes des enseignants. Elle a appris que les femmes prenaient autant la parole que les hommes, mais que les enseignants, hommes et femmes, n’accordaient pas autant de poids à leurs commentaires.
Autrement dit, vous devez cibler le problème et le mesurer. Si vous avez du mal à trouver des candidates, vous recrutez peut-être dans les mauvaises écoles. Ou peut-être que vous recrutez dans les bonnes écoles, mais uniquement parmi un groupe restreint. Vous devez donc mener des tests afin de trouver la source du problème. Si vous cherchez à embaucher un groupe de personnes d’origines raciales diverses, mais que vous ne recevez que vingt personnes de race blanche pour un entretien, cela risque de poser problème. Peut-être embauchez-vous des jeunes d’horizons très divers, mais qu’ils finissent par vous quitter? Il se peut aussi que vous les orientiez vers des emplois de service ou de soutien qui ne débouchent pas sur des postes de direction. Je pense que l’essentiel est de comprendre le problème et de le résoudre. De toute évidence, si vous réglez le mauvais problème, cela ne servira à rien.