La crise de la COVID-19 nous a tous touchés, mais ses répercussions sur la main-d’œuvre féminine ont été dévastatrices. En quelques mois seulement, le taux d’activité des femmes au Canada a atteint son plus bas niveau depuis 30 ans, en raison des licenciements et des changements dans notre façon de vivre et de travailler. Les répercussions menacent maintenant de ravager le bassin de femmes dirigeantes de la prochaine génération ce qui pourrait renverser une grande partie des progrès réalisés dans les entreprises canadiennes en matière de diversité et d’inclusion, en plus de créer un écart de rendement économique dont nous supporterons tous les conséquences.
Contrairement à la Grande Récession de 2008, au cours de laquelle huit pertes d’emplois sur dix avaient touché des hommes, cette fois-ci, les travailleuses ont subi les plus fortes pertes d’emplois et retournent au travail à un rythme plus lent. De plus, ce sont les femmes qui ont subi de façon disproportionnée les pressions liées à la conciliation de l’emploi et des responsabilités familiales et ménagères; ce qui a influé de manière significative sur leur productivité et leur bien-être mental et un nombre alarmant d’entre elles envisagent de quitter complètement le marché du travail.
Pour comprendre l’incidence de la pandémie sur l’équité au sein des entreprises, nous avons discuté avec un éventail de spécialistes en diversité et en gouvernance des mesures que les entreprises et les décideurs peuvent prendre pour protéger les gains réalisés jusqu’à présent et assurer les progrès futurs. Ce que nous avons appris indique que le Canada se trouve à la croisée des chemins. Si nous continuons dans la voie actuelle, nous risquons de perdre d’importantes ressources de talents essentiels; ce qui pourrait avoir une incidence pendant des décennies. Pourtant, en profitant de l’attention accrue portée à l’équité ainsi que de la nécessité urgente de favoriser le rétablissement de l’économie mondiale, les entreprises canadiennes peuvent se joindre à leurs homologues étrangères pour accélérer la participation des femmes à tous les niveaux des entreprises.
L’équité entre les sexes stimule le rendement des sociétés
En tant qu’investisseurs à long terme, nous considérons qu’il est de notre responsabilité de veiller à ce que les conseils d’administration et les équipes de direction de nos entités émettrices voient la diversité non seulement comme un chiffre sur une page, mais comme un véritable levier permettant d’obtenir de meilleurs résultats de placement. Notre mandat visant à protéger la sécurité de la retraite de 20 millions de Canadiens et de Canadiennes nous confère un rôle dans la promotion de pratiques améliorant le rendement des placements et profitant à l’économie.
Des centaines d’études ont montré que les entreprises dotées d’un conseil d’administration et d’un leadership diversifiés, où divers expériences, antécédents et points de vue alimentent une meilleure prise de décision, sont plus susceptibles d’obtenir des rendements supérieurs. Pour ne citer qu’une étude récente, les entreprises du premier quartile en matière de diversité des genres étaient 25 % plus susceptibles d’offrir une rentabilité supérieure à la moyenne que celles du dernier quartile; la diversité ethnique et culturelle entraînait des gains encore plus élevés.
De plus, les recherches suggèrent que la diversité rend les entreprises plus résilientes en période de crise. Une étude analysant la Grande Récession a révélé que les entreprises ayant conservé un environnement inclusif ont prospéré, alors que celles n’ayant pas fait de même ont rencontré des difficultés, et que les banques dirigées par des femmes et comptant une plus grande proportion de femmes au sein de leur conseil d’administration étaient plus stables que leurs pairs. La crise actuelle présente déjà des tendances similaires, allant du rendement des entreprises aux rendements des placements.
Nous faisons toutefois face aujourd’hui à un danger unique. Au cours de la pandémie, 30 % des femmes actives ont envisagé de quitter leur emploi, par rapport à moins de 20 % des hommes, selon Catalyst. Des données récentes de Lean In indiquent qu’une femme sur quatre envisage une rétrogradation ou de quitter le marché du travail. De nombreuses femmes, en particulier celles en milieu de carrière, font face à un dilemme difficile : se tourner vers le travail, puisque les bureaux commencent à rouvrir, ou réduire leurs heures de travail ou encore démissionner pour s’occuper des enfants qui restent à la maison. « Ma plus grande crainte est que beaucoup de femmes finissent par faire un léger pas en arrière en prenant des congés, en refusant des possibilités de travail ou en réduisant leurs heures de travail; ce qui finit par avoir une incidence sur leur parcours de carrière entier », commente Camilla Sutton, présidente et chef de la direction de Women in Capital Markets (WCM).
Le temps d’un véritable changement est venu
Même avant la pandémie, le rythme des progrès réalisés par le Canada vers la parité hommes-femmes en matière de leadership d’entreprise et de gouvernance était pour le moins décevant. Certains optent pour un langage plus ferme : « consternant », « abyssal » et « embarrassant » ne sont que trois adjectifs utilisés par les hommes et les femmes que nous avons interrogés. Parmi les sociétés inscrites à la Bourse de Toronto, 179 ne comptent aucune femme au sein de leur conseil d’administration. Seulement 19 % des administrateurs des sociétés cotées en bourse sont des femmes. Compte tenu de l’attention et de l’argent consacrés à l’équité, ces résultats sont inacceptables.
Que pouvons-nous donc faire? Nos recherches, nos discussions avec les parties prenantes et nos consultations avec les experts nous ont amenés à formuler sept recommandations à l’intention des entreprises, des investisseurs et des dirigeants politiques afin de préserver le bassin de femmes chefs d’entreprise.
Pour obtenir d’autres observations de la part des dirigeants cités, lisez notre article qui s’intitule Les voix de l’inclusion.
1. Fixer des cibles mesurables en matière de diversité au sein des sièges au conseil d’administration et des postes de direction
Jusqu’à présent, le Canada s’est largement appuyé sur les pressions exercées par les parties prenantes, l’examen du public et la persuasion morale pour encourager les progrès en matière de diversité des dirigeants. Étant donné les maigres gains que les mesures volontaires comme « se conformer et s’expliquer » ont produits, cette approche n’a manifestement pas fonctionné. Même si de nombreux conseils d’administration ne comptent encore pas suffisamment de femmes, 67 % des postes vacants l’an dernier ont été comblés par des hommes.
Le temps des vœux pieux est révolu. L’adoption de cibles concernant la représentation des femmes au sein des conseils d’administration et de la direction des sociétés cotées en bourse est fortement appuyée; 92 % des répondants associés aux marchés financiers ayant appuyé ces mesures dans un récent sondage.
À tout le moins, nous devons en finir avec cette excuse insultante : « nous n’avons pas trouvé de femmes qualifiées ». Sarah Williamson, chef de la direction de FCLTGlobal, dont l’organisation promeut une orientation à long terme axée sur l’investissement, compare cette excuse à celle d’un vendeur qui dirait au patron : « Nous ne sommes pas parvenus à trouver de clients. » Où avez-vous cherché? À qui avez-vous demandé? Quelle proportion des candidats était des femmes ou des personnes racialisées?
Beth Stewart, chef de la direction de Trewstar, entreprise de recrutement de membres du conseil se concentrant sur la diversité des administrateurs, offre à ses clients de présenter des listes entièrement féminines et leur demande de rencontrer d’abord les femmes. L’entreprise étend le bassin de candidats aux hommes si le client ne trouve pas de candidate convenable et demande alors l’ajout d’hommes. Sur plus de 130 recherches ayant commencé par une liste de femmes, Trewstar n’a jamais reçu une telle demande.
Le mouvement Black Lives Matter a, à juste titre, attiré l’attention des parties prenantes sur l’équité au-delà de l’égalité des sexes. Une récente étude a révélé que la représentation des personnes racialisées au sein des conseils d’administration d’entreprises canadiennes atteignait seulement 4,5 %. Certains administrateurs siègent au même conseil pendant des décennies; ce qui empêche le renouvellement. Pourtant, les membres électifs de ces conseils refusent souvent de participer à la conversation désagréable consistant à annoncer à un autre administrateur : « Nous vous remercions pour vos services, mais nous n’avons pas besoin de votre candidature pour une réélection cette année », confie Mme Stewart. En vue de libérer des sièges pour des candidats diversifiés, il est temps d’examiner de plus près le processus de renouvellement des conseils d’administration.
Les conseils devraient mettre en œuvre un processus annuel d’évaluation de l’efficacité de l’ensemble du conseil, de ses comités et de chaque administrateur. Ce processus devrait permettre de déterminer s’il faut remplacer des membres du conseil, afin que celui-ci, considéré dans son ensemble, continue à posséder l’expérience, les compétences et la diversité nécessaires pour servir les intérêts de l’entreprise. Dans l’évaluation de sa propre efficacité, le conseil d’administration devrait également établir s’il se concentre suffisamment sur les intérêts à long terme de l’entreprise. Les administrateurs dont le rendement est insuffisant devraient être invités à démissionner.
2. Établissement du bassin de talents
Au bout du compte, pour atteindre les cibles de diversité en matière de leadership et de gouvernance, il faut accroître le bassin de talents; cela signifie d’effectuer le suivi de la diversité à tous les niveaux organisationnels. « Tout le monde s’exclame : “Nous devons combler l’écart”, mais comment peut-on combler un écart que l’on n’a pas mesuré et si l’on ne sait pas où il se trouve? », interroge Caroline Codsi, fondatrice de Gouvernance au Féminin.
« Tout le monde s’exclame : “Nous devons combler l’écart”, mais comment peut-on combler un écart que l’on n’a pas mesuré et si l’on ne sait pas où il se trouve? », interroge Caroline Codsi, fondatrice de Gouvernance au Féminin.
Il faut commencer par le recrutement : les organisations devraient établir des objectifs pour attirer des groupes sous-représentés et suivre les progrès aussi étroitement que pour tout autre objectif d’affaires. Réfléchissez à vos sources de recrutement : S’agit-il toujours des mêmes écoles de commerce? Votre équipe de recrutement est-elle, elle-même, diversifiée? Appliquez ensuite une approche similaire aux promotions en exigeant des unités d’affaires qu’elles soumettent plusieurs candidats de groupes sous-représentés pour chaque poste de leadership vacant, puis qu’elles rendent compte de la progression de leurs employés. Selon Norie Campbell, qui dirige le Conseil de direction en matière d’inclusion et de diversité de la Banque TD, ces données peuvent indiquer s’il existe des « précipices » le long du parcours organisationnel que nous avons collectivement la responsabilité de combler. « Les femmes progressent-elles solidement en tant que gestionnaires de niveau intermédiaire, pour soudainement disparaître dans le précipice de la représentation au niveau suivant? Les attentes en matière d’emploi comportent-elles des justifications fournissant des informations sur lesquelles agir pour éliminer ce précipice? »
Rendre les progrès visibles à tous peut favoriser la mobilisation à l’échelle de l’organisation. Une grande société canadienne du secteur de l’énergie possède, par exemple, un tableau de bord sur la diversité continuellement mis à jour et ouvert à tous ses employés. Chez KPMG au Canada, dont la majorité des membres de l’équipe de direction sont des femmes, chaque embauche et promotion est examinée pour déterminer un éventuel préjugé en matière de diversité, et le maintien d’un bassin de talents féminins et de minorités visibles est l’un des critères d’évaluation du rendement des cadres. « Nous devons créer des occasions au milieu et au sommet de l’organisation », affirme Elio Luongo, chef de la direction. « Construire ce bassin prend du temps, mais cela ne devrait pas être une excuse. »
Rôle des investisseurs institutionnels
Les investisseurs, en particulier les grandes institutions comme les caisses de retraite, doivent exercer l’influence qui découle de leur participation pour encourager les pratiques menant à une création de valeur durable, y compris la gouvernance et la diversité de la direction. Investissements RPC détient plus de 200 sièges au conseil d’administration de sociétés ouvertes et fermées partout dans le monde et nous avons utilisé notre politique mondiale en matière de vote par procuration pour accroître la diversité des genres au sein de nos entités émettrices, d’abord au Canada et maintenant à l’échelle mondiale.
Nous avons régulièrement augmenté la pression. En 2017, nous avons exercé notre droit de vote lors d’assemblées d’actionnaires et tenté de nouer le dialogue avec 45 entreprises canadiennes ne comptant aucune femme au sein de leur conseil d’administration; un an plus tard, près de la moitié d’entre elles avaient nommé une femme à leur conseil d’administration. En 2018, nous avons élargi cette pratique en votant contre tous les membres de comité des candidatures d’entreprises pour lesquelles nous avions voté contre le président du conseil en 2017 si, depuis, l’entreprise n’avait pas fait de progrès en matière d’amélioration de la diversité des genres au sein du conseil d’administration. L’an dernier, nous sommes allés encore plus loin en votant contre les présidents des comités des candidatures des conseils d’administration de l’indice composé S&P/TSX comptant moins de deux administratrices. Nous avons également étendu nos pratiques de vote aux conseils d’administration non canadiens, en votant contre l’élection de 626 administrateurs à l’échelle mondiale au cours de la période de vote par procuration de 2019 en raison de préoccupations liées à la diversité.
Des signes de progrès existent. En 2019, les sociétés canadiennes inscrites à la cote de l’indice S&P/TSX 60 ont atteint une représentation féminine de 30 % au sein de leur conseil d’administration. Selon un nouveau rapport de Catalyst et du Club 30 % Canada (dont Investissements RPC est membre), le pourcentage de femmes au sein des conseils d’administration des entreprises de l’indice composé S&P/TSX est passé de 18 % à 28 % au cours des cinq dernières années et représente maintenant 18 % des équipes de direction, en hausse par rapport à 15 % précédemment.
Les institutions d’investissement devraient également servir de modèles en matière de diversité d’entreprise; défi qui nous tient à cœur. En 2019, nous nous sommes engagés à maintenir une parité hommes-femmes à 50/50. Aujourd’hui, 43 % de nos professionnels en placements et 22 % de nos gestionnaires en placements chevronnés sont des femmes, en voie d’atteindre une représentation de 30 % à l’échelle de l’entreprise d’ici 2025. Nous avons reçu la certification Parité de Gouvernance au Féminin, qui reconnaît un engagement mesurable à faire progresser les femmes. Nous avons également lancé des initiatives à l’échelle de l’entreprise visant à favoriser des comportements inclusifs d’empathie, d’humilité et de curiosité authentique, comme notre formation obligatoire à l’échelle de l’entreprise sur la gestion inclusive et l’atténuation des préjugés. De plus, nous nous sommes engagés à recruter au moins 5 % de notre main-d’œuvre étudiante au sein de la communauté noire et 3 % au sein des communautés autochtones. Enfin, notre chef de la diversité et de l’inclusion relève conjointement du président et chef de la direction et du chef de la gestion des talents; ce qui indique que l’équité est une préoccupation centrale au plus haut niveau de la direction.
3. Soutien à la garde d’enfants pour les parents qui travaillent
Le fardeau supplémentaire imposé aux dispensateurs de soins non rémunérés, dont bon nombre sont des femmes, par la virtualisation des établissements scolaires et la fermeture des garderies et des services récréatifs n’a pas diminué. Même si un plus grand nombre d’hommes ont participé aux tâches domestiques au cours de la pandémie, un tiers des femmes interrogées dans un récent sondage ont déclaré qu’elles assumaient toujours la majorité des tâches ménagères et des responsabilités des soins. De plus, les hommes actifs sont près de deux fois plus susceptibles que les femmes d’avoir un partenaire sans emploi à temps plein pouvant leur permettre de se soustraire aux responsabilités domestiques. Il n’est donc pas surprenant que le taux d’emploi des mères de tout-petits ou d’enfants d’âge scolaire ait diminué de 7 % entre février et mai, soit beaucoup plus que celui des hommes. Le chômage technique et la réduction des heures pourraient se transformer en départs permanents, si les parents n’ayant pas accès à des services de garde d’enfants sont forcés de revoir leurs ambitions professionnelles. « Je pense que nous allons assister à une deuxième vague lors de la réouverture des écoles et des entreprises, avec un exode massif de femmes du marché de l’emploi », affirme Sarah Kaplan, professeure et directrice de l’Institute for Gender and the Economy de la Rotman School of Management de l’Université de Toronto.
En réaction, les appels se multiplient en faveur d’une augmentation du soutien à la garde d’enfants, afin de permettre à un plus grand nombre de femmes de retourner au travail. Selon Mme Kaplan, le Canada a sous-investi dans les services de garde d’enfants, soulignant que nous sommes loin d’atteindre l’indice de référence de 1 % du PIB établi par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour les investissements en services de garde d’enfants. Comme le gouvernement fédéral l’a souligné dans le récent discours du Trône, les administrations publiques doivent rendre les services de garde d’enfants plus abordables et plus accessibles dans l’ensemble du pays. Les entreprises devraient contribuer en établissant davantage de garderies sur place, en aidant leurs employés à trouver des services de garde et en prenant des mesures d’adaptation pour les travailleurs qui ne peuvent pas retourner au bureau parce que leurs enfants restent à la maison.
Mettre davantage l’accent sur le congé parental est un autre outil important. Au Canada, le taux d’activité des femmes a considérablement augmenté par rapport à celui des États-Unis en 2000, lorsque notre pays a prolongé le congé de maternité. Toutefois, une longue absence pendant les années les plus actives peut entraîner une pénalité sur l’avancement professionnel d’une femme. Les femmes font déjà face à un « palier brisé » sur l’échelle de l’entreprise au cours de leur premier pas vers le niveau de gestionnaire (généralement dans la trentaine ou la quarantaine, lorsque la vie familiale est généralement la plus intense); étape à laquelle seulement 72 femmes sont embauchées ou promues pour 100 hommes. Encourager les pères à prendre plus de congés aidera à égaliser les chances, affirme Tanya van Biesen, vice-présidente principale, Engagement mondial des entreprises chez Catalyst, mais cela exige de combattre la stigmatisation persistante relative aux hommes qui prennent congé pour s’occuper des enfants.
4. Combattre les préjugés dans la culture d’entreprise
Ne pas tenir compte du genre n’est pas synonyme d’absence de discrimination en matière de genre. Nous voyons ce que nous souhaitons voir et ce que nous avons l’habitude de voir : lorsqu’il a été demandé aux employés du secteur financier d’indiquer leur accord ou désaccord avec l’énoncé « Selon mon expérience, mon milieu de travail est exempt de préjugés de genre », par exemple, près de deux fois plus d’hommes que de femmes étaient d’accord.
En matière de nominations aux conseils d’administration, des biais peuvent être présents dans les compétences exigées des candidates. « Il faut être avocat et avoir de l’expérience en finances tout en ayant un MBA et être analyste financier agréé », commente Mme Codsi. Très peu de femmes ou d’hommes peuvent assembler un tel CV, mais les conseils d’administration estiment qu’ils doivent surcompenser « parce qu’ils sont convaincus qu’il est risqué de choisir une femme », affirme-t-elle.
La réalité est que les décideurs peuvent ne pas exclure sciemment des gens, mais ils n’incluent pas non plus consciemment le plus grand bassin de candidats. Une façon de lutter contre les préjugés personnels et organisationnels est de réexaminer chaque partie du système, chaque politique, chaque processus, en créant des critères officiels pour les postes de direction (y compris les compétences traditionnellement moins valorisées, comme l’établissement de relations), par exemple, et en les utilisant pour guider les entrevues, offrir de la rétroaction et effectuer des évaluations de rendement. Si vous disposez de questions standardisées sur l’embauche et la promotion et que vous placez un bassin diversifié de candidats devant un comité d’embauche diversifié, le risque que certains candidats s’appuient sur des relations informelles (comme celles qui s’établissent sur un terrain de golf ou au sein d’équipes sportives auxquelles les femmes ne sont pas invitées à participer) diminue. Pour éviter ce risque, certaines entreprises analysent les descriptions de poste au moyen de logiciels qui suppriment des termes pouvant attirer davantage les hommes que les femmes.
5. Dépasser la diversité pour atteindre l’inclusion
La diversité n’est qu’une première étape vers l’équité. Les femmes et les minorités signalent régulièrement une incidence plus élevée que les hommes de ce que l’on appelle des microagressions, comme le fait d’être exclues d’événements sociaux ou d’entendre des commentaires désobligeants. Ces expériences sont au cœur de l’inclusion; ce qui est différent de la diversité. « Lorsque vous examinez la diversité, vous vous concentrez sur la personne, explique Mme Campbell. Lorsque vous vous concentrez sur l’inclusion, vous vous concentrez sur le fonctionnement de votre organisation. »
Les comportements liés à l’inclusion sont subtils, mais font une grande différence dans la façon dont les employés perçoivent leur expérience de travail et leur potentiel de leadership. Dans un sondage de McKinsey, 39 % des répondants ont indiqué qu’ils avaient refusé ou décidé de ne pas occuper un poste en raison d’un manque perçu d’inclusion au sein de l’organisation. La culture d’entreprise et la façon dont elle est exprimée peuvent envoyer de puissants signaux. Le bureau du directeur ressemble-t-il à un antre purement masculin, couvert de souvenirs sportifs, par exemple?
Certains signes d’une culture d’inclusion sont contre-intuitifs, comme le fait de donner un encadrement constructif, y compris des critiques, à tous les employés. « Si vous étudiez les gens qui ont réussi, presque par définition, quelqu’un a pris un risque et leur a fourni une rétroaction négative », ce qui est essentiel à l’amélioration et à la croissance, affirme Mme Williamson. Pourtant, les gestionnaires peuvent hésiter à critiquer les employés différents d’eux, par crainte de répercussions. « Les statistiques nous montrent à maintes reprises que les femmes sont promues pour leurs résultats et que les hommes sont promus pour leur potentiel, poursuit-elle. Et si vous n’êtes promu que pour vos résultats, vous ne vous voyez pas offert d’occasion. »
« Si vous étudiez les gens qui ont réussi, presque par définition, quelqu’un a pris un risque et leur a fourni une rétroaction négative »
Après avoir consacré plusieurs décennies à la formation en leadership, aux programmes de mentorat et à d’autres façons d’« améliorer » les personnes, il est temps d’améliorer les systèmes. Cela comprend de renforcer la littératie en matière d’équité, d’éliminer les préjugés au sein des politiques et, ce qui est peut-être le plus important, d’ouvrir les yeux sur la réalité du milieu de travail. Mme Sutton se souvient d’avoir donné une présentation au sujet de l’équité à un groupe diversifié d’une centaine de personnes au sein d’une institution financière, immédiatement suivie d’une discussion avec la haute direction. Une fois les employés de la base sortis, les seules personnes demeurant dans la salle étaient des hommes blancs. « Ils ont regardé autour d’eux et ont fait remarquer que c’était visuellement très parlant. »
6. Institutionnaliser les pratiques bénéfiques mises en place au cours de la pandémie
Bien que la pandémie ait entraîné de nombreuses difficultés pour les entreprises et les particuliers, elle a déclenché des expériences qui pourraient contribuer à faire progresser l’équité. Le travail à distance, par exemple, a été un outil à double tranchant : même s’il a effacé la frontière entre le travail et les loisirs (ou, comme le dit Mme Williamson, « nous ne travaillons pas vraiment de la maison, nous vivons au travail ») et a exacerbé le fardeau des responsabilités parentales, il a aussi ajouté plus de souplesse en matière d’horaires, a réduit les déplacements et a ouvert des postes à des bassins plus larges de candidats, y compris les personnes handicapées ou atteintes d’une maladie chronique et celles vivant dans des régions rurales.
La solution est de se concentrer sur ce qui fonctionne. Les organisations peuvent commencer par mettre en place des horaires flexibles, même si les spécialistes en diversité préviennent que ces politiques doivent être adoptées par les deux sexes pour éviter de renforcer les stéréotypes. Les recherches de Women in Capital Markets suggèrent, en fait, que les hommes veulent autant de souplesse que les femmes, sinon plus. Ce dont les travailleurs ont le plus besoin, ce n’est pas moins d’heures, mais de pouvoir contrôler leur horaire. Lorsqu’une société de placement a interdit les courriels, les réunions et d’autres tâches le dimanche dans l’espoir de réduire les longues heures de travail, les femmes ont paniqué, explique Mme Sutton, car bon nombre d’entre elles utilisent les dimanches pour rattraper le retard accumulé du fait d’autres responsabilités.
Lors du retour des travailleurs au bureau, les entreprises doivent faire preuve d’autant de discernement que de souplesse dans la façon dont elles gèrent le personnel sur place et à distance. À Investissements RPC, nous avons établi une règle selon laquelle toutes les réunions continueront d’être tenues virtuellement à mesure que nos employés retrouveront graduellement leur bureau, et ce, afin de créer une situation équitable pour ceux qui continuent de travailler à la maison. Nous nous concentrons sur la façon de maintenir l’équité et la cohésion au sein de l’équipe de manière à un équilibre entre les réalités des collègues à la maison et leurs responsabilités en matière de soins à fournir et les besoins de ceux qui choisissent de travailler du bureau. Nous espérons que, même si par le passé, les femmes peuvent s’être senties obligées de faire un pas de côté voire en arrière pour obtenir de la souplesse, elles pourraient maintenant être en mesure d’aller de l’avant tout en conservant cette souplesse.
Lors du retour des travailleurs au bureau, les entreprises doivent faire preuve d’autant de discernement que de souplesse dans la façon dont elles gèrent le personnel sur place et à distance.
Nous observons certains signes prometteurs. Selon un sondage mené en juin, 72 % des personnes actives pensent que les changements causés par COVID-19 auront une incidence positive sur l’égalité des sexes en milieu de travail. De plus, près de quatre répondants sur dix ont déclaré constater que leur entreprise prenait des mesures après la pandémie pour améliorer l’équité entre les sexes en tant que priorité en milieu de travail. Ne laissons pas ces efforts disparaître des ordres du jour des entreprises.
7. Les dirigeants doivent diriger/span>
Le parrainage formel par la haute direction peut faire une grande différence dans le sentiment d’inclusion d’une personne, mais des recherches ont montré que les femmes et les minorités n’ont pas autant de contacts avec les hauts dirigeants que les hommes. « Il n’y a rien de plus précieux que d’être mentionné dans les salles où sont prises les décisions en matière de promotions et de possibilités d’emploi futures », affirme Mme Van Biesen de Catalyst.
Même si le soutien des pairs et des superviseurs immédiats est essentiel pour favoriser efficacement l’inclusion, les hauts dirigeants doivent donner le ton. Il existe de nombreuses façons pour les dirigeants d’exprimer l’importance de l’équité, que ce soit en participant personnellement à des programmes sur la diversité, en tenant des discussions sur la discrimination ou en dénonçant des comportements même seulement légèrement répréhensibles. « Il ne s’agit pas d’un enjeu propre aux femmes, mais bien d’un enjeu qui touche notre société. En tant que dirigeants, nous devons nous faire entendre, exercer notre influence et servir de modèles dans chaque organisation », affirme M. Luongo.
« Il ne s’agit pas d’un enjeu propre aux femmes, mais bien d’un enjeu qui touche notre société. En tant que dirigeants, nous devons nous faire entendre, exercer notre influence et servir de modèles dans chaque organisation », affirme M. Luongo.
Un geste aussi simple que de dire bonjour à l’enfant d’un employé lorsqu’il se retrouve dans le champ de la caméra au cours d’une vidéoconférence peut indiquer que l’organisation fait preuve d’empathie à l’égard des défis des collègues. Un membre de la direction ou du conseil d’administration invité à prendre la parole à une conférence peut insister pour que le groupe soit diversifié.
Les dirigeants doivent également exiger des données sur les progrès réalisés quant aux objectifs de diversité. « Ils doivent être clairs sur leur vision de l’organisation et, si l’organisation a adopté des cibles, ils doivent expliquer pourquoi », affirme Mme Sutton. Un chef de la direction est allé jusqu’à ajouter le titre de chef de la diversité à son propre titre, envoyant ainsi le message que la diversité n’est pas la responsabilité d’un employé des RH trois niveaux plus bas, mais celle du chef de la direction.
L’une des mesures les plus importantes que la haute direction peut prendre est de s’assurer que le comportement équitable est la norme au bas de la hiérarchie, en particulier parmi les gestionnaires de première ligne. Mme Van Biesen appelle cela le « milieu gelé », c’est-à-dire un palier de direction qui peut considérer la diversité comme un domaine de risque plutôt que comme une occasion, qui voit les éventuels inconvénients du changement et qui est donc la partie de l’organisation la plus difficile à mobiliser. « La réalité est pourtant que la vie de la plupart des gens est contrôlée par leur gestionnaire immédiat, et le comportement de ce gestionnaire représente 45 % de l’expérience d’inclusion de cet employé », affirme-t-elle. Il est particulièrement important de s’assurer que les gestionnaires de première ligne adhèrent aux efforts de diversité dans la foulée des manifestations antiracistes et relatives à la pandémie, car de nombreux employés continuent d’éprouver des difficultés au-delà de leur travail.
Les crises peuvent être des charnières importantes, parfois pour le pire. L’accent mis sur l’inclusion et la diversité pourrait s’estomper au sein des priorités stratégiques dans un contexte de lutte pour la survie des entreprises. Les conseils d’administration peuvent ainsi éviter d’apporter des changements pour favoriser la stabilité. Les fonctions qui ne génèrent pas directement de revenus sont habituellement les premières à subir des compressions et les employés les plus récents ayant des liens plus faibles avec les couloirs du pouvoir appartiennent souvent aux groupes non dominants. Sur le plan humain de base, lorsque nous sommes menacés, nous régressons vers l’expérience et l’opportunisme, en retournant à ce qui nous est familier et qui a fonctionné par le passé. Mme Williamson, qui travaillait dans une société de services financiers, se souvient des décisions de licenciement prises lors de la crise financière de 2008 : « C’était presque une question tribale, une mentalité de protéger “les nôtres”. Et “les nôtres” ont tendance à être “les gars”. »
Les prévisions d’Investissements RPC suggèrent que l’économie canadienne se contractera de 6 % cette année; récession deux fois plus profonde que celle causée par la crise financière mondiale. Une reprise économique durable ne peut avoir lieu sans une pleine participation des femmes. Nous pouvons tirer des leçons de l’expérience récente du Japon dans la mise en œuvre de son plan « Womenomics » visant à stimuler la croissance à long terme et à contrer la contraction de la main-d’œuvre. En 2012, le gouvernement japonais a adopté une série de réformes, comme l’adoption d’une loi visant une meilleure divulgation des données sur la diversité des genres, l’amélioration des politiques nationales en matière de congés parentaux et l’expansion des services de garde d’enfants. Huit ans plus tard, le pays affiche un taux d’activité des femmes de 73 %, surpassant ainsi le États-Unis et l’Europe. Il incombe maintenant aux hommes et aux femmes occupant des postes de direction de se faire les champions d’une transformation semblable au Canada et partout dans le monde. Les derniers mois ont montré à quel point nous pouvons nous adapter rapidement lorsque nous n’avons pas le choix; nous devons maintenant adopter le même état d’esprit à l’égard de l’équité au sein des entreprises.
Nos économies en dépendent.
1 Lean In. Women are maxing out and burning out during COVID-19
2 McKinsey & Company. Most diverse companies now more likely than ever to outperform financially
3 McKinsey & Company and Lean In. Women in the workplace 2020
4 Statistics Canada. Étude : Représentation des femmes au sein des conseils d’administration, 2016
5 Ryerson University. Diversity Institute
6 Lean In. The state of women in corporate America
7 Catalyst. Report: Getting Real About Inclusive Leadership