Andrew Edgell, directeur général principal et chef mondial, Placements en instruments de crédit d’Investissements RPC, nous parle ouvertement de la conjoncture économique actuelle et des placements en titres de créance privés. Il nous expose également son point de vue sur le rôle du crédit dans l’avancement des initiatives ESG. Cet article a été publié pour la première fois dans Institutional Investor et Pensions & Investments en 2022.
Question : Face au scénario de stagflation, certains conseillers en placement ont recommandé d’accroître la pondération des titres de créance privés. D’après Investissements RPC, quels sont les avantages d’une répartition de portefeuille favorable aux titres de créance privés pour traverser le contexte économique actuel?
Réponse : Nous convenons que les titres de créance privés offrent des caractéristiques intéressantes qui justifient une répartition de base importante de façon générale, et tout particulièrement dans un scénario de stagflation. De toute évidence, les taux variables – donc les durées plus courtes – et le rang dans la structure de capital sont des caractéristiques avantageuses dans un contexte de hausse des taux. Toutefois, nous tenons à faire quelques mises en garde.
Tout d’abord, notre priorité est la valeur relative et nous observons que la prime de rendement actuelle des titres de créance privés a subi une contraction générale par rapport aux titres de créance publics. Toutefois, il s’agit là davantage d’une mise en garde tactique à court terme. Il y aura toujours des moments où les occasions pourraient sembler plus intéressantes sur les marchés publics, mais une stratégie fondée sur les titres de créance privés ne peut pas simplement s’adopter et s’abandonner. De plus, les écarts de taux des titres de créance privés se sont élargis ces derniers temps, en écho à l’amélioration des conditions à la faveur des prêteurs et au recul de l’effet de levier. Nous nous attendons à ce que cette catégorie d’actif continue d’offrir une prime de rendement importante au fil du cycle.
Autre mise en garde, un contexte de stagflation prolongée sera probablement beaucoup plus difficile pour les prêteurs du point de vue du crédit. Au cours de la dernière décennie, nous avons traversé une longue période marquée par des taux d’intérêt bas, un resserrement des écarts de taux et une conjoncture économique globalement soutenue, à l’exception de l’incidence de la pandémie de COVID19 au début de 2020 (qui, en dépit de sa gravité, a été de relativement courte durée). La période a été aux réjouissances pour les investisseurs qui ont pu cibler des actifs, générer des rendements et réduire assez facilement les défauts de paiement. Si une longue période de stagflation nous attend, les taux de rendement pourraient grimper mais avec eux les défaillances et les pertes. Si la catégorie d’actif devrait faire preuve de résilience dans son ensemble et produire des résultats intéressants, l’écart de rendement entre les prêteurs solides et plus faibles devrait s’élargir.
Enfin, un scénario de stagflation est possible, mais nous ne prétendons pas pour autant avoir une boule de cristal. Nous lui préférons des analyses de scénarios afin de comprendre la fourchette des résultats positifs potentiels et d’éviter les opérations dont les résultats sont négatifs ou qui présentent des risques extrêmes. Ces analyses nous ont permis de repérer des occasions plus rentables depuis le début de la pandémie.
Q : À propos de la dispersion des résultats des commandités, tout particulièrement dans le contexte actuel, quelles sont selon vous les principales marques de différenciation entre les commandités du crédit privé (ou du prêt direct)? Y a-t-il quelque chose qui fasse vraiment la différence?
R : Lorsque nous envisageons l’alpha du crédit dans son ensemble, nous avons tendance à comparer le rendement des obligations à rendement élevé ou des prêts à effet de levier par rapport aux indices de crédit publics, malgré l’imperfection admise de la comparaison. Dans les marchés d’acquisition et de détention, moins liquides, comme les prêts directs, l’alpha est davantage une question de limiter les pertes.
À cet égard, un angle de ciblage élargi est important. Les commandités peuvent ainsi repérer tout l’éventail d’occasions sur le marché, puis sélectionner, avec la plus grande rigueur et détermination, les meilleurs titres de créance dans lesquels investir. Il existe donc une atténuation du risque inhérente dans la solidité de la plateforme de montage, conjuguée à une discipline de crédit approfondie et expérimentée.
Dans le contexte actuel, il est particulièrement important de choisir avec le plus grand soin des titres de créance qui résistent à la hausse de l’inflation et des coûts d’intérêt. Si vos contrôles diligents vous permettent de vous assurer de la résistance d’une société à ces facteurs, vous avez alors une assez bonne combinaison d’atouts en main, parce que vous pouvez dégager des rendements plus élevés tout en réduisant les pertes au minimum.
À notre avis, l’atténuation des pertes passe également par de solides relations avec les promoteurs de sociétés fermées – nous avons fait ce constat pendant la pandémie lorsque les promoteurs sont intervenus pour soutenir les sociétés de leur portefeuille – et des capacités d’arrangement dédiées pour minimiser les pertes, le cas échéant. Parmi les autres caractéristiques que nous recherchons chez les commandités, mentionnons l’harmonisation des intérêts, la solidité de la gouvernance et des systèmes de gestion d’actifs, la résilience de la base de capital avec des sources de financement diversifiées pour optimiser le passif au bilan de l’équation et l’accent mis sur l’anticipation, la gestion et l’intégration des facteurs de durabilité qui sont importants pour leurs activités.
La collaboration est l’un de nos principes directeurs et les caractéristiques essentielles que nous recherchons dans une collaboration peuvent prendre différentes formes. Antares Capital constitue un bon exemple. Nous avons normalement tendance à investir directement dans les marchés qui nous intéressent. Il n’était toutefois pas possible, dans un délai raisonnable, d’investir directement dans les prêts directs sur le marché intermédiaire et de bâtir en interne une plateforme à l’échelle d’Antares et de l’étendue de ses relations.
Q : Les marchés s’interrogent beaucoup sur la bascule des États-Unis dans la récession, surtout depuis que le PIB a diminué pour un deuxième trimestre de suite. Quelle est l’opinion d’Investissements RPC à ce sujet et à quoi vous attendez-vous au cours des 12 prochains mois, tant aux États-Unis qu’à l’échelle mondiale (à quoi nos lecteurs doivent-ils être attentifs)?
R : Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous n’avons pas de boule de cristal et nous nous appuyons sur des scénarios pour tester nos thèses de placement, mais je vais partager avec vous quelques observations.
L’observation des marchés montre clairement que le risque est beaucoup plus grand et qu’il commence à s’accompagner d’un élargissement des écarts de taux et de l’assèchement des liquidités, en particulier au niveau du capital de second rang de la structure du capital. Des pressions techniques s’exercent également sur les marchés. Nous observons une orientation du capital dans des titres de qualité supérieure à plus courte échéance. Par ailleurs, les banques ont récemment conclu des opérations importantes dont la syndication n’a pas été sans mal, de sorte qu’elles hésitent à lancer de nouveaux produits. L’inflation et l’invasion de l’Ukraine par la Russie pèsent sur la confiance des consommateurs, ce qui a une incidence sur les marchés de taille, comme les prêts hypothécaires et les titres adossés à des créances à la consommation. De plus, les problèmes d’approvisionnement ont été exacerbés par l’approche « zéro COVID » de la Chine, et dernièrement, la volatilité du Gilt au Royaume-Uni et la vigueur du dollar américain ont eu une incidence sur les marchés mondiaux.
Du côté des paramètres fondamentaux des entreprises, les paramètres de crédit restent généralement solides mais commencent à se détériorer, et nous observons indéniablement un ralentissement de la croissance et une compression des marges dans certains secteurs. Certaines sociétés résistent et tiennent la barre, mais d’autres subissent les répercussions croissantes de la hausse de l’inflation, des coûts d’intérêt et des problèmes d’approvisionnement. L’environnement est de plus en plus contrasté, ce qui souligne davantage encore le rôle crucial de la sélectivité dans le choix des titres de créance à l’avenir.
Q : Selon Investissements RPC, quel rôle le crédit joue-t-il dans les initiatives ESG au niveau de l’emprunteur? Les prêteurs devraient-ils se contenter de filtrer les risques liés à la durabilité ou croyez-vous qu’ils doivent être plus proactifs dans les initiatives en la matière auprès des emprunteurs? Quel est, par exemple, le point de vue du RPC sur les rajustements à la hausse ou à la baisse des écarts de taux?
R : Si les entreprises ne sont pas en mesure de démontrer qu’elles prennent en compte la durabilité et l’intègrent à leur culture et à leur stratégie, elles commenceront à perdre la confiance de leurs clients, de leurs fournisseurs, de leurs employés, de leurs organismes de réglementation et, par ricochet, de leurs investisseurs. Ce manque de confiance se traduit directement par une perte de valeur. Par conséquent, même si vous examinez la situation uniquement sous l’angle des placements, vous devez placer ces facteurs en tête de vos contrôles.
Pour ce qui est de la contribution des investisseurs en titres de créance à la mise en œuvre des initiatives ESG, il peut être difficile d’insuffler le changement sans siéger au conseil d’administration. Pour autant, l’attentisme n’est plus une stratégie viable. Le rajustement des marges de crédit en fonction des objectifs de durabilité est clairement un domaine d’innovation pour les titres de créance privés au cours des 12 à 24 prochains mois. Les prêteurs peuvent influencer plus directement le comportement des entreprises par ce biais. Toutefois, il faut examiner attentivement les objectifs et ne pas se contenter de jeter de la poudre aux yeux pour faire de l’écoblanchiment. De plus, les rajustements qui proposent de réduire l’écart en fonction d’un objectif devraient, en théorie, formuler une proposition équilibrée pour le prêteur comme pour l’emprunteur. Cette occasion d’un montage dont tout le monde sort gagnant existe dès lors que la marge de taux inférieure imposée reflète une véritable réduction du risque de crédit et un ajustement équitable du rapport risque/rendement – à moins que le prêteur n’ait un mandat spécifique en termes d’impact qui lui permette un tel compromis sur le rendement.
Sur le sujet de la décarbonisation, cette approche unique met l’accent sur le financement de la réduction des émissions et l’établissement de partenariats avec certains grands émetteurs pour susciter des progrès, aussi importants que nécessaires, vers l’objectif zéro émission nette au sein de l’économie réelle et, ce faisant, extraire la valeur que présente la transition. Du côté du crédit, nous adoptons une approche en trois volets : premièrement, nous sommes prêts à jouer le rôle de partenaires financiers pour les sociétés qui relèvent ce défi et qui ont des plans de transition crédibles; deuxièmement, nous maintenons un dialogue et un engagement ouverts auprès des sociétés innovantes afin de saisir les occasions d’une transition économique globale; et troisièmement, nous finançons des solutions tournées vers l’avenir pour la transition de l’économie dans son ensemble. De plus, nous passons de la parole aux actes avec notre engagement envers l’atteinte de la neutralité carbone dans nos activités d’ici la fin de l’exercice 2023 et l’augmentation de notre investissement dans les actifs verts et de transition.